Vaine tentative de planter un arbre

Dans cette série photographique, Amine Oulmakki met en scène l’errance solitaire de l’Homme- Âne dans l’inextricable labyrinthe urbain de Casablanca. Portant un jeune plant dans un pot de culture sur le dos, ce protagoniste hybride cherche désespérément un endroit propice à sa plantation. Le contraste immense entre la taille humaine du personnage et le décor industriel compacte et massif dans lequel il évolue, nous met face à l’absurdité de la réalité environnementale désastreuse de la métropole marocaine, où la facture brute du béton éclipse toute présence d’élément naturel dans le paysage urbain. En contrepoint, le chaos dystopique des ruines cimentiques reflète le labeur quasi herculéen auquel l’homme âne s’est voué.

Envers et contre tout, l’Homme-Âne se déplace d’un décor urbain à l’autre, et arpente infatigablement les méandres de la ville, le dos courbé par la lourdeur du pot, résolu à planter son arbre dans un acte de résistance écologique et citoyenne. La conscience environnementale aigue de l’«homme » nourrit la force animale de l’âne qui avance sans relâche dans une marche obstinée qui nous exhorte à reconsidérer radicalement la politique urbaine de nos villes, ainsi que notre responsabilité collective face à l’urbanisation galopante.

Ces images révèlent une ironie poignante par le biais d’un renversement de perspective : l'âne, souvent caricaturé pour son obstination et son inintelligence, se mue ici en instigateur éclairé du changement environnemental. Et par sa volonté d’acier, il nous murmure subtilement la question qui dérange : si l’âne, cet animal que l’on dévalorise et méprise, devient dans cette fiction photographique, le porteur d’une lutte citoyenne pour rendre nos villes plus viables et harmonieuses, qu’empêche-t-il l’Homme, doté de raison, d’en emboiter le pas et d’opérer le même changement ?

Par ailleurs, cette série suscite malgré elle, une sorte de malaise fertile et un sentiment d’inconfort productif, qui pousse le spectateur à mesurer, à travers le combat silencieux de l’Homme-Âne, l’indifférence généralisée par rapport aux enjeux écologiques, et la participation timide de l’Homme dans la durabilité de nos villes et, plus largement, de notre monde.

D’un point de vue esthétique, cette série démontre l’habilité de l’artiste à créer des mises en scènes évocatrices qui allient les langages du cinéma aux codes de la photographie, dans le dessein de recomposer les traits d’une narration visuelle insolite et percutante. En s’adonnant à cet exercice artistique, Amine Oulmakki détourne la perception du spectateur à travers une provocation douce, mais incisive, qui suscite la réflexion et le débat autour d’un présent empreint de scepticisme et un avenir durable, auquel chacun de nous est invité à réenchanter.